Ils parlent de Hédi

Dandy, soigné, bohème dans la tête, marginal d’idées et de fréquentations, c’est avec ses aînés déjà anticonformistes que se tisse une amitié indéfectible  : Brahim Ksontini, Aly Yssa et sa Fondation au Bardo où figurent quelques-unes de ses toiles… Trio doté d’un coup de crayon des plus sûrs, des plus rapides, des plus fins, sans gommage… L’attestent leurs croquis jetés au hasard sur la page blanche. 

Éthérées ses œuvres alors ? Certaines mais pas toutes ! 

D’abord, vous êtes frappés par leur beauté ; puis le contenu vous interpelle par bribes et vous ne pouvez décrocher. Avec Naïli, n’allez pas croire qu’une seule de ses représentations, même les plus lisses, soient vides de sens. Cherchez le déclic !

Car, avant tout, l’œuvre de Naïli est à l’image du peintre. Écorché de la vie, pas toujours compris, admiré toutefois dans son pays, le cynisme est un mécanisme de défense à toute épreuve. S’enrôler dans l’art est un militantisme esthétique pour l’artiste engagé, frondeur récidiviste de la libre culture… et Hedi ne manque pas une occasion de mener le combat.

Hypersensible jusqu’à la susceptibilité, la toile est son exutoire : le locuteur muet où il peut déverser sans retenue, sans tabou, fantasmes, désirs, frustrations, opinions, diatribe, satires, dénigrement, réquisitoires, révolte et liberté jusqu’à la provocation  ; tout ce que son inconscient libère par le biais du pinceau. 

Surréaliste dans ces associations d’idées-motifs, ces analogies de signes qui s’oxymorent, se métaphorisent et s’hyperbolisent dans des élans créatifs.

De là l’épanchement pour la féminitude, amante et matrice, égérie et servante, Kahina et soumise. Démiurge ou objet, Tanit ou vestale, ainsi pose-t-il à travers des compositions charnelles, sensuelles et impudiques, austères, frigides et moribondes, la duplicité d’une société pour le moins misogyne et sexiste.

…Ses cavales figuratives arborent le feu de l’ardeur et de la robustesse, tout en muscles, en mouvement, en sentiments. Mais sa dextérité ne lui suffit pas. Obnubilé par Soulages, il poursuit une quête. Celle du trait, du coup de pinceau qui se suffit à lui-même et s’inscrit dans un cadre, sans qu’il soit utile de rajouter quelque chose. Le noir comme obsession ultime, alors que le coloriste en lui ne cesse de se pendre aux cimaises.

Alors semble-t-il se vouer à déconstruire, à pénétrer ce monde derrière la toile, le diluer à loisir et en extraire sa complexité en une galerie de personnages émergeant de groupes compacts, contrefaits et ridiculisés. Mais l’essentiel de son parcours décline la réalité du quotidien  : occulté, exacerbé, il révèle l’intimité dramatique d’une société à deux vitesses. 

Il  s’y glisse par l’embrasure des moucharabieh, à travers la pénombre prégnante des demeures traditionnelles. Son trait s’épaissit, sa touche se dédouble, se fragmente, fusionne forme et fond. L’alcôve et son secret, le naturel et l’apparence, la promiscuité et ses non-dits.    Scènes de la vie et subconscient s’y côtoient. Sa manière, elle oscille entre une désinvolture à la Toulouse-Lautrec et des contrastes de couleur, comme un cri étouffé, à la Matisse. 

Mais la référence n’est juste qu’une parenté  : la chair, l’atmosphère, l’excès, l’effet d’effritement ou de dislocation lui sont propres.

Une dualité inhérente convulse ses toiles jusqu’à l’angoisse… au point de s’abîmer dans le désespoir. Comment tirer l’essence des choses, la spiritualité, la vie de ses modèles  ? Comment concaténer le vivant et l’aplat  ? Le souffle, l’émoi, le frisson…

Alors, entre l’artiste du maëlstrom, de « la beauté convulsive » à la Breton et les mises en scène qui habitent ses toiles qui se lisent de droite à gauche, l’éternelle question à la Gauguin, citée dans ses derniers écrits  – « D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? »* –  : le peintre existentiel…

*  Titre de la toile de Gauguin (1897), cité par Hédi en 2012, dans l’un de ses articles politiques, à propos du Ministère tunisien de la culture.

Monique Akkari alias MONAK, Journaliste et critique d’art.

Hédi Naili
Né le 25 Mai 1949
Artiste-Peintre, Historien d’Art, Muséologue & Archéologue
Extrait article de Bady Naceur, Presse.tn – 10-03-2012 :
« Je n’avais pas revu Hédi Naïli depuis une trentaine d’années, ou plus. J’avais entendu dire qu’il avait d’abord été à Tripoli, puis à Manosque au pays de Giono et des cigales, dans le midi de la France. Puis à Paris où Lisa Séror me l’avait confirmé.
J’avais connu Hédi Naïli au tout début des années soixante-dix, chez Juliette Nahum, au salon des Arts, à la rue Ibn-Khaldoun.
A l’époque, il y avait encore quelques-uns des membres du groupe des Six qui s’était sabordé:
Néjib Belkhodja, Lotfi Larnaout, Nja Mahdaoui… Le groupe des Cinq aussi, plus jeunes (Férid Ben Messaoud, Belkhamsa, Noureddine Sassi…). Nous vivions déjà dans une dictature de plus en plus visible, contraignante, y compris dans le milieu de la peinture et des arts scéniques. Jusqu’en janvier soixante-dix-huit, le malaise social, puis la «guerre du pain» et des élans identitaires de l’intégrisme déjà, comme aujourd’hui, d’ailleurs.
Mais Hédi Naili, abstracteur géométrique ou même lyrique, se cherchait encore, se défendait aussi d’entrer dans les arcanes de la figuration mimétique de l’Ecole de Paris, comme celle de
l’Ecole de Tunis ou chez le groupe Soixante-dix, à travers une peinture qui exaltait le patrimoine «arabo-musulman», à travers la lettre et le signe, la contrepartie ou le détournement de sens, par rapport aux caciques de la figuration classique, telle qu’enseignée alors aux Beaux-Arts de Tunis,
l’unique école, à l’époque, en Tunisie.
Ce désir d’aller voir ailleurs pour mieux acérer sa vue, de se dire comme Matisse qu’il faut ouvrir des fenêtres (celles qu’il peignit à Collioure) pour mieux apprécier la nature, retrouver la beauté du réel à travers soi ou, comme Pollock, se dire : «Je suis la nature», c’est peut-être ce petit grand tour, ce détour et ce retour qui auront été le lot de Hédi Naili et de tant d’autres artistes de sa génération qui ont préféré prendre le large. Devenir des Ulysse traversant la Méditerranée à
contre-courant du héros mythique pour accéder à ces «promenades de rêveries solitaires» dans les grandes cités, plutôt que dans les prés.
Imprévisible retour aux sources de Hédi Naili à travers ses visions qui nous donnent des illusions ou vice-versa. Ses rêves qui lèvent d’une toile à l’autre comme des champignons. Des rêves matissiens auxquels il voue un culte admirable. Parce que peindre, c’est prendre un plaisir fou à le faire. Et qu’il faut laisser venir les choses, ne pas être effrayé par la blancheur de la toile, le vide. Laisser faire la «manu-tension», cet «accord du sensible et du spirituel» comme le disait Hegel, à travers son Esthétique. Hédi Naili fait, maintenant, du corps à corps avec ses toiles, avec la peinture. Ce retour à la figuration, celle des corps à corps justement, des nus qui se juxtaposent
ou se fondent les uns dans les autres, ces sexes alanguis, ces connexions, et ces disjonctions, corps à peine esquissés graphiquement, mais généreux en matières colorées, fluides et jouant à la transparence, au clair-obscur, tout cela assemblé aujourd’hui comme des images mouvantes et
remuantes d’un cinéma. Des images qui musiquent parfois dans l’harmonie, parfois à travers une stridence insoutenable.
Au plus près de Matisse, mais aussi de Lautrec, auxquels il a rendu des hommages nombreux en France, Hédi Naïli est dans la veine «néo-orientaliste», en jouant beaucoup de la contradiction entre l’héritage du passé et les données modernes. Ses corps peints sont des corps combinés, ce
sont des fluides humains qui s’interpénètrent : le lait dans sa blancheur, le sang dans le rouge incandescent, le feu de braise.
Et puis, le violet pâle ou le bleu outre-mer, celui du rêve. Les combinaisons de ces couleurs sont aussi des éléments d’expression de la pensée de l’artiste qui réactualise ainsi ses visions, par rapport à une actualité vivante. »..
  • « … il n’aura fait que cultiver ses racines de loin… »

Bady Ben Naceur – La Presse

 

  • « Le surréalisme contient et déborde les rêves. Hédi Naili en semble avoir choisi l’exploration. Par le biais du fait pictural. »

Sophie El Goulli

 

  • « Par sa formation pluridisciplinaire, Monsieur Hédi Naili me paraît apte à nouer les liens entre des disciplines longtemps opposées qui doivent désormais collaborer tant à la sauvegarde des biens culturels qu’à une perspective plus interne du ménage des hommes et des artistes »

M. Hours – Maitre de Recherche au CNRS et Conservateur en Chef des Musées Nationaux

 

  • « Matisse is said to have broken the framework of Occidental Art. Hédi Naili for his part offers wide open doors over a nice and crude universe »

Jacques Bélanger